« Que voulez-vous que j’écrive ? » m’avait-t-il demandé lorsque je lui avais tendu le livre d’or. « Allez-y, allez-y, votre Altesse ! N’importe quelle bafouille de votre part me fera plaisir ! » lui avais-je répondu. C’était cet échange qui avait provoqué notre hilarité sur ce cliché datant de 1993. Mohamed VI, Roi du Maroc, Prince héritier à l’époque, a été certainement l’une de mes plus grandes rencontres.
Nous avions voulu voir grand. À grand événement, grande personnalité ! Avec « l’économiste », hebdomadaire marocain, et 2M, la chaîne privée de télévision du royaume, j’avais entrepris d’organiser la première exposition rétrospective de l’affiche marocaine. Lors d’une réunion de préparation, quelqu’un avait évoqué l’idée de demander le haut patronage du Prince héritier et le rêve de le voir présent lors de notre soirée d’inauguration. « Ok, je m’en occupe ! » avais-je dit, comme pour relever un défi. J’avais alors adressé un dossier aux services du Palais Royal. Quelques jours plus tard, j’avais reçu un appel du Directeur du Protocole qui m’avait fait passer un interrogatoire téléphonique digne des grandes enquêtes d’État. Après plusieurs entretiens, nous avions eu l’accord pour le patronage officiel, ce qui nous avait permis de démarrer la campagne, mais la présence du prince était restée en suspens. Deux jours avant l’événement, le Directeur du Protocole m’appela pour m’annoncer que Son Altesse ne pouvait être présente, en raison d’un programme de déplacements à l’étranger très chargé. Une seule idée m’avait alors occupé l’esprit sur le moment : j’avais promis la présence du prince à mes co-organisateurs, je m’y suis engagé, nous l’avions annoncée sur tous les médias et je ne voulais absolument pas perdre la face par rapport à cet engagement.
Je ne me souviens pas avoir argumenté un jour aussi ardemment que ce jour-là ! « savez-vous, cher Monsieur, que nous attendons plus de cinq mille entrepreneurs et personnalités pour cette soirée ? Impossible d’imaginer cette inauguration sans la présence de Son Altesse Royale ! S’il ne peut pas venir, nous reportons l'exposition ou nous l’annulons et je vous laisse imaginer la réaction des médias, d’autant plus que cet événement est co-organisé avec les médias les plus influents du royaume. ». J’avais mis toute la gomme ! Ayant pris quelques minutes de réflexion, le Directeur du Protocole me rappela pour m’annoncer dans un grand soupir « Bon, c’est compliqué, mais on s’est arrangé … Il prendra l’avion pour venir à votre soirée et devra repartir au bout d’une heure ! ». « Ouf ! ».
Le jour J, nous avions effectivement plus de cinq mille convives, triées sur le volet, dont de nombreuses personnalités, en attente devant ce grand espace de la côte casablancaise que nous avions investi pour l’exposition. Alignés à l’entrée avec les principaux organisateurs devant un grand tapis rouge, nous attendions le prince. À 19h30, l’heure tapante que nous avions affichée, et c’est ce qui m’avait bien marqué, une escorte de voitures était apparue dans un grand chant de sirènes. La route de l’aéroport jusqu’à notre lieu d’exposition avait été bloquée pour acheminer le cortège royal. Notre prince était là, à l'heure prévue et ce fut la première fois où je l’approchais de si près. Dans un espace privé, nous avions passé une heure en sa compagnie. Mon associé à l’époque, habituellement bavard et très à l’aise dans les soirées mondaines, avait perdu sa langue. Il semblait tétanisé comme s’il n’en croyait pas ses yeux alors que je me suis surpris en train de tenir une conversation en toute décontraction avec notre invité d’honneur. Comme si je ne voulais rater aucune seconde de cet instant précieux. Un pur bonheur ! Le roi, M6 comme le surnomment les marocains, est bel est bien comme nous l'avions toujours imaginé. Très avenant, agréable, courtois, cultivé et doté d’une intelligence hors du commun. Je n’avais jamais été aussi à l’aise avec une si haute personnalité. C’était en observant le brouhaha orchestré par ses gardes du corps et ses accompagnateurs que je me suis rendu compte à quel point cet entourage pouvait façonner l’image « royale » d’un personnage. Le roi était simple, mais son environnement était fortement « royal » ! J’ai eu la chance de le revoir plus tard, en d’autres circonstances et j’avais eu des contacts avec lui après son intronisation. Cette opinion que j’avais eu à son égard, à l'époque, est restée toujours aussi intacte.